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Le Président, une robe de chambre passée sur son pyjama, travaillait à son bureau quand Fawcett entra.
« Alors, vous avez parlé à Moran ? »
Le secrétaire général de la Maison Blanche avait la mine sombre.
« II a refusé de m’écouter.
— Ah ! vraiment ?
— Il a dit que vous étiez fini, que vos discours n’avaient plus la moindre importance. Et il a ajouté quelques insultes pour faire bonne mesure.
— J’aimerais les entendre », fit le Président d’un ton sec.
Fawcett, de plus en plus mal à l’aise, hésita avant de s’exécuter :
« II a déclaré que votre comportement était celui d’un malade mental et que votre place était à l’asile. Après d’autres calomnies sans intérêt, il a ajouté que vous rendriez un immense service au pays en vous suicidant, ce qui éviterait aux contribuables de payer les frais de votre procès… »
Le visage du Président se tordit de rage :
« Ainsi ce minable intrigant s’imagine qu’il va réussir à me traduire en justice ?
— Ce n’est un secret pour personne que Moran est prêt à tout pour prendre votre place.
— Il n’a pas assez d’envergure pour y parvenir, fit le Président, les lèvres serrées. Son ambition le perdra.
— A l’entendre, c’est déjà comme s’il était en train de prêter serment. La procédure d’impeachment n’est que la première étape qui doit le conduire au pouvoir.
— Alan Moran n’occupera jamais la Maison Blanche !
— Certes, pas de session du Congrès, pas d’impeachment, mais vous ne pourrez pas leur interdire indéfiniment de se réunir.
- Il faudra bien qu’ils attendent mon autorisation pour le faire.
— Et la tentative de demain à l’université George-Washington ?
— La troupe les dispersera.
— Et si la Garde nationale de Virginie et du Maryland se range à leurs côtés ?
— Vous croyez qu’ils tiendront longtemps face à des soldats, bien entraînés et des marines ?
— Assez longtemps pour qu’il y ait de nombreux morts, répondit Fawcett.
— Et alors ? Plus je sèmerai la confusion au Congrès, plus j’aurai les mains libres. Ce ne sont pas quelques pertes en vies humaines qui m’arrêteront. »
Fawcett considéra le Président avec stupéfaction. Ce n’était décidément plus le même homme que celui qui, au cours de sa campagne, avait juré qu’aucun citoyen américain ne mourrait au combat durant son mandat. Il se sentait incapable de jouer plus longtemps son rôle d’ami et conseiller. Il secoua la tête et parvint à déclarer :
« J’espère que vous n’irez pas trop loin.
— Vous commencez à avoir la frousse, Dan ? »
Le secrétaire général avait le sentiment d’être pris au piège. Heureusement pour lui, Lucas entra à cet instant dans la chambre, portant un plateau avec une théière et des tasses.
« Vous voulez du thé ? demanda-t-il.
— Merci, Oscar, avec plaisir, accepta le Président.
— Dan ?
— Volontiers. Ça me ferait du bien. »
Lucas versa trois tasses. Fawcett vida la sienne d’un trait.
« C’est tiède, se plaignit-il.
— Pour moi, c’est parfait », déclara le Président, buvant à petites gorgées.
Il posa sa tasse sur un coin de son bureau et reprit :
« Bien, où en étions-nous ?
— Nous parlions de votre nouvelle politique, répondit Fawcett, profitant de la diversion. Les Européens protestent vigoureusement contre votre décision de retirer les forces américaines de l’O.T.A.N. En Angleterre, il y a même une plaisanterie qui circule, annonçant qu’Antonov se prépare à prendre son petit déjeuner à l’hôtel Savoy de Londres.
— Je n’apprécie guère cette forme d’humour, déclara froidement le Président. Antonov en personne m’a assuré qu’il respecterait les frontières actuelles.
— Je crois me rappeler que Hitler avait affirmé la même chose à Chamberlain. »
Le Président parut sur le point de répliquer avec colère, mais il se mit soudain à bâiller, secouant la tête pour lutter contre la fatigue.
« Peu importe ce que pensent les gens, dit-il d’une voix lourde de sommeil. J’ai fait reculer la menace nucléaire et c’est cela seul qui compte. »
Fawcett ne laissa pas passer l’occasion, et, commençant à son tour à bâiller, il déclara :
« Si vous n’avez plus besoin de moi pour ce soir, monsieur le Président, je crois que je rentrerais volontiers à la maison pour prendre une bonne nuit de repos.
— Et moi aussi, ajouta Lucas. Ma femme et mes enfants se demandent si j’existe encore.
— Bien sûr. Désolé de vous avoir retenus si tard, s’excusa le Président qui se dirigea vers son lit en ôtant sa robe de chambre. Voulez-vous m’allumer la télévision, Oscar ? Je voudrais regarder un peu les informations sur cette chaîne qui en diffuse vingt-quatre heures sur vingt-quatre. (Puis il se tourna vers Fawcett.) Dan, demain matin je veux voir le général Metcalf à la première heure. Qu’il me tienne au courant des derniers mouvements de troupes.
— Je m’en occupe. Bonne nuit, monsieur le Président. »
Dans l’ascenseur conduisant au rez-de-chaussée, Fawcett consulta sa montre.
« Ça devrait produire ses effets d’ici deux heures, déclara-t-il.
— Il va dormir profondément et se réveiller malade comme un chien, fit Lucas.
— A propos, comment avez-vous fait ? Je ne vous ai rien vu glisser dans sa tasse et vous nous avez tous servis avec la même théière.
— Un vieux truc de prestidigitateur, répondit le chef des Services secrets en riant. La théière possède un double compartiment intérieur. »
Ils sortirent de l’ascenseur près duquel les attendait Sam Emmett.
« Pas de problèmes ? demanda celui-ci.
— Non, répondit Fawcett. Le Président s’est endormi comme un bébé. »
Lucas le regarda droit dans les yeux, l’air soucieux. « Le plus difficile reste à faire… tromper les Russes. »
« II dort d’un sommeil particulièrement profond ce soir », constata Lugovoy.
L’assistant de service acquiesça :
« C’est bon signe. Le camarade Belkaya ne viendra pas troubler ses rêves. »
Le psychologue étudia l’écran affichant les fonctions corporelles du Président.
« La température monte. Une congestion se forme au niveau des sinus. On dirait que le sujet nous prépare un refroidissement ou une grippe.
— C’est extraordinaire. Nous savons qu’il est attaqué par un virus bien avant lui !
— Je ne pense pas que ce soit grave. Surveillez quand même son état au cas où il empirerait et risquerait de bouleverser nos plans… »
Tous les écrans de la console, soudain, devinrent flous puis s’éteignirent.
« Qu’est-ce que… »
Aussi brusquement qu’elles avaient disparu, les lettres vertes revinrent, brillantes et claires comme auparavant. Lugovoy vérifia les circuits de sécurité. Tout était normal.
« Qu’est-ce qui s’est passé ? »
Le psychologue semblait songeur.
« Peut-être une brève panne de l’émetteur de l’implant.
— Je ne vois aucun signe de mauvais fonctionnement.
— Une interférence électrique, alors ?
— Sans doute. Une quelconque perturbation atmosphérique. L’explication est logique. Et puis, qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? »
Lugovoy, les paupières lourdes de fatigue, contempla un instant les moniteurs.
« Rien, fit-il sombrement. Rien d’important en tout cas. »
Le général Metcalf referma le rapport et tendit lentement la main vers son verre de brandy. Il leva enfin les yeux et regarda avec tristesse Emmett assis en face de lui.
« Une tragique affaire, murmura-t-il, le cœur serré. Le Président était un grand homme, peut-être le plus grand à avoir jamais occupé la Maison Blanche.
— Les faits sont là, répliqua le directeur du F.B.I. en désignant le dossier. Par la faute des Russes, il est devenu inapte à poursuivre son mandat.
— Je dois reconnaître que vous avez raison, mais ce n’est pas facile pour moi. Notre amitié remonte à près de quarante ans.
— Allez-vous rappeler la troupe et permettre au Congrès de se réunir demain ? » le pressa Emmett.
Metcalf but une gorgée d’alcool et hocha la tête avec résignation.
« Je vais ordonner son retrait. Vous pouvez informer les présidents de la Chambre et du Sénat qu’ils pourront siéger librement au Capitole.
— Puis-je vous demander une faveur ?
— Bien sûr.
— Serait-il possible d’éloigner avant minuit les marines qui gardent la Maison Blanche ?
— Oui. Je ne vois rien qui s’y oppose. Pourquoi ?
— Une petite ruse, général, répondit Emmett. Un tour de passe-passe qui ne manquera pas de vous intéresser. »